Nyack est une petite ville de 6 ou 7000 âmes située dans le Comté de Rockland au bord de la rivière Hudson. A l'est, sur la rive opposée de la rivière que traverse le Bear Mountain Bridge, fait face le village de Sleepy Hollow, rendu célèbre par Tim Burton , Johnny Deep et son terrible cimetière.
Chez nous, on dirait de Nyack qui se trouve à quelques dizaines de miles au sud de West Point et à environ une heure de voiture au nord de New York, qu'il s'agit d'un gros bourg sans grande particularité.
Nyack regroupe, en son centre, comme partout, quelques commerces de première nécessité souvent logés dans de vénérables bâtiments classiques en briques brunes ou vertes ajourés de belles vitrines et un Subway qui m'a marqué, tenu par un sino-américain très affable. N'hésitez pas à lui demander la clef des toilettes, situées à l’extérieur, rien que pour le plaisir de tenir l'infâme cordelette qui la retient au bout d'un bouchon de liège plus gras que le plus rance des doughnuts.
Dans les faubourgs de la petite cité, de nombreuses et très belles demeures de style Victorien ou plus exactement de style Queen Anne, aux lignes asymétriques, agrémentées de corniches aux mille détails tarabiscotés, soutenues de lignes de denticules peintes et surplombées ou encadrées de tourelles, souvent polygonales, aux toits pointus.
Chacune de ces "Old Ladies" a sa personnalité, leurs teintes vont du vert ou du rose acidulé au jaune pastel et à cette couleur pervenche ou lilas que seuls les anglo-saxons osent utiliser et savent mettre en valeur.
Loin de la frénétiques New York et du vacarme incessant des artères qui l'irriguent, Nyack s'endort paisiblement et le charme de sa torpeur attire bien des citadins lassés du bruit et de la fureur comme aurait dit Faulkner. Alors pourquoi vous parler de cette petite ville à la croisée de trois états (Etats de New York, du New Jersey et du Connecticut), et bien tout simplement car Nyack est la ville natale du grand Edward Hopper et qu'aujourd'hui l'oeuvre du peintre nous semble plus que jamais d'actualité.
Cette belle maison qui l'a vu naitre, située North 82 sur Broadway abrite un joli petit musée dédié à l'artiste. Comme sur de nombreuses de ses toiles représentant les belles maisons de son Amérique paisible, un porche s'avance et se prolonge sur la gauche par un vestibule dévoré par le lourd feuillage d'un chèvrefeuille odorant.
Après cet épisode surréaliste qui a permis à ceux qui ont été confinés de prendre conscience du temps, avec anxiété et vertige comme seuls les humains savent le faire, poursuivre l'exploration de l'oeuvre de Hopper nous permet de faire le point sur notre ennui ou notre léthargie. Les maisons de son oeuvre sont comme les visages des inconnus que l'on croise, quelque soit la beauté ou la décrépitude de leurs façades, Ã part ceux qui y vivent, nul ne sait vraiment ce qui se déroule entre leurs quatre murs et d'une maison à l’autre, d’un bâtiment au suivant, et il gomme consciencieusement l'anarchie de tous les fils électriques jetés et tendus, coupant ainsi les éventuels liens d'affections qui pourraient se créer.
On dit de lui qu'il est le peintre de l'attente, son style nous semble nouveau, ses perspectives si limpides. Comment ne pas avoir pensé avant lui à réaliser des descriptions si évidentes ? Il est encourageant, en découvrant son oeuvre, de penser qu'il reste encore, dans le monde, des choses à nommer.
Nous avons pu tester durant ces quelques semaines le luxe du temps qui se fige, des grandes rêveries qui font le point sur les souvenirs, les laissant s'entrelacer mollement au rythme de la mémoire. Comme les personnages qui peuplent ou hantent les grandes toiles de Hopper, attendent-ils réellement quelque chose ou quelqu'un ou sont-ils simplement et voluptueusement immobilisés dans leurs souvenirs, profitant des derniers rayons du soleil, de la fraîcheur du vent ou du bruissement des feuilles des arbres ou des vagues du blé qui ondulent.
Les pièces sont vides de personnalité, il n'y a aucun autre bagage que la solitude de ceux qui occupent les lieux, seuls un lit défait et un fauteuil éreinté accompagnent l'existence de ces fragments d'humains qui semblent disposer d'un temps infini.
Il y a tant d'inspiration pour un photographe dans l'oeuvre de Hopper, tant d'informations dans les couleurs passées de ces pièces impersonnelles, on imagine les nus simplement éclairés par le reflet d'une peinture ensoleillée, dévêtus par l'absence d'objet, encadrés par l'huisserie d'une fenêtre épuisée
Il me semble que la destinée des artistes est en partie écrite mais que ces lignes de vie s'effacent lentement au fur et à mesure qu'il la mène et que l'encre de leur existence se dilue dans le courant du flot de l’oeuvre qu'ils tentent désespérément de mener jusqu’à son terme.
Quand à la mélancolie du spectateur immobile devant l'oeuvre il doit la combattre de tout le temps dont il dispose avant de le gâcher dans la futilité et de s'enfoncer en silence dans sa détresse comme dans des sables mouvants.
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