Richard Fike and his friend
Quelques notes d'harmonica, six accords de banjo, le hennissement des montures dont on pique les flancs et qui partent au grand galop, le craquement des planches de bois brut sous le pas des bottes. La forge résonne du bruit des marteaux sur les enclumes, on casse des bouteilles sur le miroir du saloon, un coup de feu claque. Un chuck wagon chargé jusqu'au sommet de sa bâche et tiré par six braves chevaux tangue comme un voilier mal conçu au beau milieu de la rue, dans la poussière sous les regards endormis de quelques cowboys éméchés.
Tout y est, la blanchisserie chinoise et ses grosses cuves de fer blanc, le guichet de la gare, le General Store regorgeant de marchandises, de tissus, d'outils, de boites de cigares et de conserves, le bureau de poste et les bandes du télégraphe qui jonchent le bureau et se répandent sur le sol, comme les mues des crotales. Au centre de ce désordre, l'hôtel avec les sons criards du bastringue qui s'échappent du grand bar. Dans le hall, quelques tables de jeu couvertes de cartes et de verres crasseux semblent figées dans une nostalgie poisseuse. L'escalier monumental aux rambardes ouvragées grimpe vers les chambres, les marches et la moquette rose, fanée, portent encore les traces des pas qui les ont gravies.
House of a notable
Chez le "barber", on vient de recevoir un fauteuil tout neuf, il a été expédié depuis Denver par le train à vapeur. Les odeurs mélangées des crèmes et des parfums bon marché envahissent la pièce et s'échappent même à l'extérieur par les fenêtres ouvertes. Il fait chaud à Montrose en cette fin d’avril.
ll y a encore le bureau du shérif et sa geôle aux lourdes grilles de fer et aux barreaux serrés l'un à l'autre. Le bureau fait également office de banque et cela vaut mieux pour tout le monde. Sur le mur, parmi un fouillis d'affiches et de cartes des routes de l'état, la photographie anthropométrique en noir et blanc de Butch Cassidy "Reward" Dead or Alive annonce le montant de la prime qui calibre le prix de sa vie.
Il est un peu étouffé mais on entend clairement un cri. C'est le dentiste qui vient d'extraire une dent malade ou saine, quelle différence, de toutes façons elle aurait bien fini par être gâtée aussi. Alignés sur un plateau argenté, les instruments dont il dispose font frémir les plus courageux et souvent, à leur vue, les douleurs se font moins insoutenables, repoussant les soins à quelques jours ou à quelques semaines. On commence à faire des dentiers, rien n'arrête plus la science désormais, mais ils sont tous identiques et c'est aux mâchoires de devoir s’accoutumer.
Train Station
Un triangle de fer tinte non loin appelant les enfants à rejoindre leur classe. La jeune maitresse d'école dans sa tenue stricte les accueille sur le perron, ils entrent en papotant, encore dans leurs jeux et leurs aventures. Dès tôt le matin, elle a pris soin de laver le sol à grande eau et à cirer soigneusement les quelques étagères de la pièce comme le stipule le règlement précis et inflexible qu'elle a dû signer avant son contrat. Elle ne doit pas être vue avec des hommes et ne devra monter dans une charrette qu'en compagnie de son père ou de son frère. Les heures de ses repas, ses sorties, son temps de présence à l'école, la hauteur de sa robe sur sa cheville, sa coiffure... tout est normalisé par une étiquette rigoureuse. L'enfreindre entraînerait son renvoi immédiat.
Classroom
Nous sommes au Museum Mountain West à l'est de Montrose Colorado, sur la route 50 au sud ouest du Black Canyon of the Gunnisson. Cette petite ville qui relate l'histoire des rudes pionniers qui marquèrent la naissance de l'état du Colorado est une pure et incroyable création. C'est l'oeuvre d'un enfant collectionneur de quatre ans qui a voulu faire revivre le quotidien de ses ancêtres en accumulant tout ce qui pouvait servir à son grand projet. Aujourd'hui, soixante dix ans plus tard, c'est un véritable musée vivant qui retrace l'histoire de l'Amérique profonde au temps des chercheurs d'or, des aventuriers ou des simples colons en quête d'un Eldorado. Des milliers d'objets, de vêtements, d'outils de cette époque sont mis en situation dans des décors frappant de réalisme. Une rue complète est reconstituée dans un vaste hangar, bottier, chapelier, médecin, armurier, toute une vie à recréer toute une ville, Richard Fike sous son chapeau ourlé de sueur et derrière son regard bleu a bien oeuvré pour l'histoire toute menue à laquelle s'accroche fébrilement ce grand et jeune pays.
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